Test écrit par Murazame
Talentueux mais humble studio, Vanillaware tire son prestige (amplement mérité) d'une lignée succulente d'action rpg ayant comme trait commun le fait d'être chacun une beauté fatale dopée aux arômes de beat'em up. Initiée avec Odin Sphere sur playstation two, est-il vraiment nécessaire de rappeler que son ambassadeur George Kamitani ainsi que “son équipe” avaient déjà fait montre de cet incroyable savoir-faire du temps où ils étaient employés chez Atlus, avec Princess Crown sur Saturn ?
Époque bénite où le grand public n'avait d'yeux que pour la playstation one, sur laquelle la 3D était servie à toutes sortes de sauces plus ou moins ragoûtantes, et une fin d'année 1997 où la Saturn était visiblement déjà morte et à moitié enterrée par les trois quarts de la presse (occidentale) "spécialisée", alors même qu'elle accueillait ses meilleurs jeux, pardon, les meilleurs jeux du monde !
Des livres dont vous êtes les héros
Il était une fable, celle d'un monde où se cotoyaient des chevaliers dévoués à leur reine, des fées taquines, des pirates mal dégrossis, des sirènes malmenées, des licornes et des dragons, tous menacés par des forces maléfiques depuis des temps immémoriaux. L'histoire des royaumes de Varendia et de Vorga, tous deux créés à l'origine par la Déesse Gaia qui institua une reine pour gouverner le premier et un roi pour le second, en leur confiant à chacun une couronne d'or renfermant un peu de Sa Lumière.
L'équilibre fut rompu lorsque Larva, l'antithèse de la Déesse, parvint à corrompre l'âme du Prince Vorgrodo de Varendia par le biais de son avatar en place dans le monde des vivants ; un grimoire ancien ayant le verbe flatteur. Affaiblie et acculée, Gaia usa alors de toute son énergie pour emprisonner Vorgrodo, sceller le portail joignant les deux dimensions avant de cristalliser ses dernières forces en pierres précieuses, qu'elle confia de protéger à quatre dragons.
Feue la reine Elfaran de Varendia fut la dernière en date à mettre en échec l'armée des ombres, il y a maintenant un quart de siècle. À sa mort, elle laissa derrière elle trois orphelines dont il fut décidé que ce serait Gradriel, la cadette âgée de treize ans seulement, qui succèderait au trône. Éprise très tôt d'une profonde admiration pour sa défunte mère et soucieuse d'en être la digne héritière, vint donc rapidement le jour où elle désira voir le pays de ses yeux pour le servir avec honneur. Cependant, les réticences de ses grandes soeurs et de son vieil intendant, par un trop-plein de bienveillance à son égard, l'obligent à s'évader en catimini du château.
Fils de Golgoda, lequel était un chevalier reconnu de la garde royale mais tombé au combat, Edward Growstar, surnommé le tueur de dragons, veut connaître la vérité concernant les troubles rumeurs qui font de son père, au crépuscule de sa vie, un traître à la Reine et un suppôt du Diable.
Avec son cache-oeil et une jambe en bois, Portgus Chrisford aurait bien du mal à dissimuler sa vraie nature bien qu'il se soit au contraire érigé en justicier des mers, jurant de protéger les faibles des pirates véritables. Un écumeur de mer craint et respecté, qui traîne lui aussi un lourd passé dont il aimerait faire le deuil.
C'est dans les vieux plots qu'on fait les plus belles soupes
Un trio de personnages raconté dans des livres que l'on obtient successivement mais une histoire globale pas tant découpée plutôt qu'elle ne s'étoffe au fil de leur lecture. Certes incomparablement plus courts, les opuscules d'Edward Growstar et de Portgus Chrisford (environ cinq petites heures pour le premier et à peine plus d'une heure pour le second) ne sont donc pas juste deux desserts allégers, mais bel et bien deux destins à part entière sans lesquels l'avenir du royaume, relaté dans un cinquième et ultime manuscrit, resterait incertain. Seul l'épisode de Proserpina, l'espiègle apprentie sorcière vêtue tout de rouge, tient de l'entracte digestive avec un rôle dans l'intrigue générale qui ne dépasse pas le fait divers “fantasy-iste”.
Vaste amas de bourgades reliées les unes aux autres par des chemins rectilignes et pour certaines, par un service de téléportation gratuit mais rudimentaire (c'est à dire occasionnant un petit temps de chargement...), on s'y déplace librement sur un scrolling horizontal, le seul impératif étant qu'il faille au préalable soutirer les "mots-clefs" (reconnaissables à leurs couleurs, précisons-le pour les non japonophones) aux habitants du coin, afin que la suite du trajet s'affiche et complète peu à peu la carte.
Avant toute chose, impossible de ne pas chanter les louanges de ce royaume dont l'esthétisme serait jugé plutôt sage et convenu s'il ne se matérialisait à l'écran avec autant d'extravagance. Car sitôt le pied posé sur les terres de Varendia est-on happé, comme on peut l'être face à une de ces grandes tapisseries moyenâgeuses, par ses toiles de fond superbes et devant lesquelles se pavanent des créatures non moins sublimes, gargantuesques même et, du grassouillet champignon à l'énorme tarentule bien velue, toutes diablement expressives.
Par leur double rôle en tant que simple ennemi de base d'un côté et protagoniste intervenant dans l'intrigue de l'autre, une poignée de sprites (ceux des démons par exemple, ou bien encore le couple de pirates simplets) n'échappe pas à un recyclage qui casse un peu l'ampleur de cet univers, mais les quelques concessions faites ici ou ailleurs n'entament pas le tableau qui demeure l'un des plus impressionnants sur la console, pas loin derrière l'intouchable Nanatsu Kaze no Shima Monogatari.
L'atmosphère prégnante qui en émane doit également beaucoup à une bande son tout aussi exquise, même si l'ensemble souffre du caractère répétitif (développé ci-après) du jeu d'Atlus. La musique a le bon ton cependant de ne pas se faire envahissante, s'effaçant plutôt même très souvent pour ne laisser entendre que les sons environnants, du bruissement des feuillages jusqu'à l'humidité d'un donjon.
Occire ou (se) farcir, il faut choisir
Une silhouette plantureuse tenant sans doute un peu à la cuisine fait maison, puisqu'il est en effet possible de mijoter soi-même de bons petits plats. On ne s'étonnera pas donc de trouver parfois poêles ou marmites en plus des piécettes d'or tombées du coffre, récupéré après chaque victoire. Restaurant une dose plus ou moins conséquente de HP, certains beuvrages ou mets goûteux produisent aussi un effet secondaire, comme le maintien temporairement à bloc de la jauge symbolisant l'endurance, dite de power.
Une vertu éducative dont aurait pu se targuer, s'il l'eut voulu, son éditeur, mais que ceux qui n'entendent rien en art culinaire soient rassurés car il est tout à fait possible de s'en remettre au chef cuisto local, chaque bourg proposant d'ailleurs une spécialité à la vente ou à la préparation.
Pièce centrale du menu, marquant une coupure mais sans réelle transition d'écran, les affrontements se déroulent à la manière d'un vrai beat'em up ; Gradriel, Edward, Portgus et Proserpina ayant pour cela un (maigre) éventail d'attaques qui se distingue en style comme en puissance.
Leur exécution est en revanche identique, toutes les variantes s'effectuant avec le bouton C : une estoc rapide (bas+ C), une attaque relevée (haut+ C), une combo (C, C, C, C...) et une spéciale aussi qui, via une pression longue du même bouton, envoie paître au loin l'adversaire (dans une explosion de lumière si ça l'achève), ou à l'inverse paralyse le joueur qui va devoir reprendre son souffle, quand elle rate. En somme, les commandes sont extrêmement basiques mais un maniement (volontairement) haché ne permet pas de les enchaîner avec fluidité, chaque coup marquant au contraire un temps d'arrêt. Indépendamment de la jauge de power qui modère l'élan du joueur, succomber à la tentation de foncer tête baissée ne mènera donc nullepart, sinon à la crispation de ne pas pouvoir jouer vite.
Cela se vérifie d'ailleurs lorsqu'on se fait sucrer l'initiative d'un contre suite à une esquive (bouton B maintenu) pourtant toujours réussie, puisque la scène se fige alors pour laisser le choix de la direction (recul ou passage dans le dos de l'adversaire), ou bien encore lorsqu'on se mange une riposte au beau milieu d'une combo. Au final, on a donc un jeu axé sans aucune ambigüité sur l'action mais au tempo syncopé, "proche" (dans l'idée) du rpg au tour par tour ; celui où les deux camps vont être obligés d'agir (et de déguster aussi) à tour de rôle !
La gourmandise, ce vilain défaut !
Quoique déjà fort alléchant en l'état, le menu ne saurait être entier sans une fournée d'autres contraintes dont il va falloir s'accommoder et à commencer desquelles, l'obligation de se rendre au deuxième étage d'une auberge pour enregistrer sa progression, comme au bon vieux temps du genre...
Pour pimenter la chose, les provisions sont rangées dans une petite sacoche de main (et que l'on ouvre en pressant A) qui ne peut contenir que huit objets. Le surplus ira dans un second sac dédié au stockage (bouton L) donc indisponible en combat, mais le seul pouvant être élargi par l'intermédiaire de quêtes subsidiaires qui par ailleurs, donneront pour leur grande majorité des confiseries en récompense !
Conservées dans un deuxième écran d'inventaire que partagent en commun nos quatres héros (autrement dit, un bonbon dans la poche l'est pour celle de tout le monde), ce sont des upgrades permanentes qui profitent principalement à leur compagnon de route : Aria la fée (Gradriel), Ignis le petit dragon (Edward), Drake le perroquet (Portgus) et Gabriel le gobelin (Proserpina) intervenant ainsi plus souvent durant les combats pour lâcher une variété grandissante de potions (invincibilité, etc.). Le coup de main est appréciable car le gain d'expérience n'engendre qu'une extension du nombre de HP ainsi qu'un petit réajustement de la puissance d'attaque, bien que celle-ci ne soit pas apparente.
Tout autre élément d'appoint est en effet soit restreint (la magie sous forme de consommable, ou le renfort matériel limité à un seul accessoire...), périphérique (le double saut par exemple, ne s'obtient qu'en se parant d'une bague...) ou dégradable (bouclier, gant, botte ou anneau s'usent puis se cassent !).
Malheureusement, Princess Crown n'est pas un conte de fée parfaitement idéal non plus car dans l'ombre de son médiéval fantastique un peu cliché et candide se terrent quelques difformités, il est vrai amplement compensées par ses qualités mais certainement pas bénines pour autant.
La plus néfaste prend la forme d'un level design sans relief, morne et dénué d'intérêt ludique (plateforme, puzzle, etc.), la plupart des donjons étant du reste soit des tours toutes trop similaires à deux ou trois nuances près, soit des grottes bien plus insipides encore. Une architecture paresseuse qui s'avèrerait pourtant et tristement presque salutaire par la présence de micro temps de chargement, placés en embuscade à chaque entrée et sortie d'un lieu, chaque terminaison de route et de section d'un "labyrinthe". Las, l'impossibilité de s'éclipser d'une bataille vient porter le coup fatal à l'estomac saturé de ces mauvais ingrédients.
De prime abord spectaculaire et envoûtant mais un peu rigide puis "assez vite" rébarbatif, si l'on s'essayait au jeu des métaphores un peu faciles pour résumer Princess Crown, ce serait celle du fruit superbe pas tout à fait mûr à l'intérieur. Grandement estimé et à juste titre pour sa 2D fait main magnifique, il surprend par un système de combat pas spécialement profond mais plus délicat qu'il n'en donne l'air au premier contact, pour au final pécher par une composante exploration atrocement plate. Trop concentrée sans doute à peaufiner l'enrobage, la team Kamitani aurait été mieux inspirée de répartir équitablement ses ressources créatives pour gommer ce qui constitue peut-être le seul vrai défaut du jeu, mais d'une taille telle qu'il est difficile de pardonner et encore moins d'en faire abstraction. Cela n'enlève cependant rien à l'originalité d'une recette absolument délicieuse et devant laquelle on aurait bien du mal à faire la fine bouche.
VERY GOOD : 8/10 -> 89%
TECHNICAL :
GAMEPLAY :
GRAPHICS :
SOUND :
STORY :